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Imaginaire & Inconscient 43

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IMAGINAIRE & INCONSCIENT 43

9782847954388

Parution : septembre 2019

CURE, ECRITURE ET LECTURE

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SOMMAIRE

  • Éditorial. Cure, écriture et lecture
    Fabienne Sardas et Sabine Fos-Falque
  • L’interlocution interne du psychanalyste
    Jean-François Chiantaretto
  • Devenir un autre nourri par soi
    Cécile Richard
  • Tout cela n’est que littérature !
    Jacques Boulin
  • La nomination dans un récit de cure
    Marianne Simond
  • Fenêtres sur cures
    Anonyme
  • De la cure à l’écriture photographique
    Elodie Lescarmontier
  • Poteaux d’angle, structure aveugle. Sublime Henri Michaux
    Clément Etienne-Raynal
  • En miroir, s’expliquer
    Sabine Fos-Falque
  • Quand l’écrit relit la cure
    Anne-Gaelle Ulloa
  • Il ne faut pas reculer devant l’e-mail
    Joseph Agostini
  • Comptes-rendus d’ouvrages


Éditorial

Fabienne Sardas & Sabine Fos Falque

Cure, écriture et lecture

«La rencontre de l’énigme de l’amour et de l’énigme de la cure, communément appelée amour de transfert, si elle a bien lieu dans l’espace analytique, n’est pleinement officialisée que lorsque l’analyste passe à l’écriture et accepte de voir dans les mots qu’il écrit, la preuve des éprouvés liés à son dialogue intérieur en situation.» 

Jean-François Chiantaretto (1)

Cure, écriture et lecture: ce titre délimite déjà un lieu et une temporalité faite de longues années passées sur le divan. L’écriture clinique dessine, elle, un espace à part qui a ses règles, ses contraintes et son éthique. Elle a cette singularité, au travers des genres littéraires, d’être le témoin de l’avènement d’un sujet et de rendre compte d’une technique de transformation à l’œuvre par le biais d’une pensée qui prend forme chez l’analyste. Cette rencontre inédite, hautement providentielle, entre deux protagonistes aux rôles bien définis, dans un cadre précis, un espace clos et un temps choisi est celui du théâtre comme du roman. Le creuset fécond de deux histoires, comme du transfert de l’un et du contre-transfert de l’autre, en feront le roman idéal d’une rencontre donnant naissance au sujet. Ce thème de prédilection, l’avènement – autrement dit le commencement – a toujours été entouré d’une certaine magie dont on ne se lasse pas.

Nous avons fait le choix audacieux de revenir à la frontière entre la parole dans la cure, l’écriture clinique faite de la matière des mots de l’analyste et la lecture littéraire qui de toute évidence précède chacun dans sa capacité à être mené là où il doit advenir. Le fil conducteur, ou plutôt la basse continue: la littérature – puisque «le désir se crée son accomplissement dans l’œuvre littéraire». (2) Avec cette hypothèse que cet espace littéraire là n’est pas très éloigné de l’espace analytique, sorte d’emboitements réciproques. De surcroit, le texte littéraire pourrait bien être une continuation ou un substitut du jeu enfantin, sollicitant le «rêveur éveillé qui habite chacun d’entre nous». (3)

La littérature, constante célébration de nos vies, grandit l’homme, le relie aux autres par la seule force des mots. Elle comble des solitudes et des ennuis profonds tant sa compagnie est présence vivante. Elle dénonce la douleur et le manque. Les mots, porteurs d’une puissance d’évocation, charrient avec eux Eros tout autant que Thanatos, le désir de la vie comme le désir de la mort.

Toute littérature, toute prose n’est pas nécessairement un drapé fluide tel que Freud aimait qualifier les écrits de Zweig (4). Mais il est évident que la littérature a ce pouvoir de nourrir l’être, de lui donner matière à réflexion, à identification et de ce fait le grandit et le soutient, lorsque, à la suite de Zweig, «Un être en état de désaffection par rapport à sa vie est attiré par la passion qui habite un autre être». Les écrivains «nos maîtres à nous, hommes vulgaires», accèdent ainsi à la «connaissance de l’âme, car ils s’abreuvent à des sources que nous n’avons pas encore rendues accessibles à la science» souligne Freud dans sa Gradiva (5).  Il considérait en effet la littérature comme une partie constitutive de la psychanalyse.  Plus encore, les écrivains seraient de précieux alliés: ils connaissent une foule de choses «entre le ciel et la terre dont notre sagesse d’école n’a pas encore la moindre idée» (6).  L’homme Freud s’y plaisait et s’y est adonné le plus souvent qu’il le pouvait, non seulement en travaillant l’esthétique de son écriture mais aussi en appuyant le geste d’écrire à la puissance persuasive du littéraire. Ne serait-ce que dans ses histoires de malades qu’il avait soin et émotion à rendre lisibles comme des romans, se plaisant à leur tournure littéraire malgré les exigences de scientificité qu’on lui connait.

Voilà pourquoi très tôt nous avons, comme la plupart de nos patients, été séduits par le pouvoir de la lecture pour comprendre le monde et tenter de trouver comment s’y ajuster, tant le costume paraissait étroit. Certains font état de véritables chocs littéraires changeant radicalement leur vision du monde. D’autres évoquent la place prise par les livres quand la solitude est grande.  Puis il arrive que lire incite à écrire, tant chacun se sent singulier dans son expérience du vivre et son rapport à l’autre.

Ainsi en va-t-il de l’analyste qui écoute et lit et écrit parfois, mu par un désir singulier. Cette pulsion d’écrire pourrait bien s’originer de l’événement de la séance et de la nécessité d’en faire le récit, autrement dit d’en faire quelque chose.  Il se pourrait bien que le recours à la littérature donne possibilité de sortir de la séance du huis-clos analytique sans pour autant la quitter, forme paradoxale d’extériorité au-dedans. Besoin de la théorie, de ses pairs ou du littéraire pour, par la pensée, déjouer Thanatos – cette force qui jour à jour éreinte patient et analyste. Thanatos et l’angoisse, l’affect le pire de tous, l’inutile, le paralysant, celui contre lequel ne s’oppose aucune promesse, à partir duquel rien ne peut se produire et qu’il faudrait ne voir que passer. Cette sensation fade de ceinturement, de clôture solipsiste sur la douleur ou les aléas d’être en vie, parcourue de séance en séance par tout analyste qui entend les bruits que fait l’inconscient lorsqu’il ne bouge plus.  Sens aux aguets, émotions toutes dedans rentrées. Il fait avec un matériau brut qu’il lui faut sans relâche, étirer, malaxer avant de lui donner forme et afin de lui redonner mouvement. Lorsque les mots arrivent comme une foule endiablée, alors il est possible de faire avec le trop plein, l’enchevêtrement, les nœuds et ravines, les déliés et les trous.  A l’analyste de ne pas cesser de retisser le drapé, de réinventer un espace-temps partageable qui réfléchirait en miroir les paysages psychiques traversés.

Quelque chose doit en effet se passer à partir de là, une mise en mouvement, une liaison, une création. L’urgence et l’impératif seront qu’un destin se noue, qu’un chemin se dessine et qu’une subjectivité prenne forme. Décors de vies et patients, tels des personnages, se relaient au fil des jours et donnent au fil du temps le désir d’en garder la trace. L’écriture clinique – ou le roman puisant aux soubassements inconscients – offre cette prise de parole tout en s’appuyant sur la présence à l’autre. Ecriture compensatrice, écriture du trop entendu, du malentendu? Qu’importent les histoires de flacon et d’ivresse si l’analyste est un bavard bâillonné, il est bien souvent potentiellement un écrivain prolixe. Claude Louis Combet (7) tentera de définir une écriture de l’intériorité, en remplaçant le substantif écriture (qui désigne un produit, un objet littéraire descriptible et analysable) par un verbe d’action, écrire, entendu au sens de «créer du texte - c’est à dire par le recours aux mots, de donner forme et qualité d’expression littéraire, singulière spécifique, à une pensée, à une matière plus ou moins confuse d’émotions, de sentiments, de souvenirs, de création de l’imaginaire.» André Gide, grand admirateur de Freud, fervent auditeur d’Eugénie Sophroniska (analysante de Freud et fondatrice de la SPP) écrit le premier roman d’une cure qui s’intitule «Les faux-monnayeurs». Les surréalistes prennent ensuite le relais, de nombreux autres romans analytiques suivront (8). C’est dire, à la suite de Marie Cardinal (9), combien il peut sembler urgent de transcender dans l’écrit une «mutation torturante» et létale.

De la cure à l’écriture une fenêtre s’ouvre d’une intériorité à une extériorité, l’adresse se fait plus vaste. D’une curiosité de l’en soi (du creux du dedans) s’expanse l’ouverture vers le monde. A suivre Annie Ernaux (10), «ouvrir un livre, c’est vraiment pousser une porte et se trouver dans un lieu où il va se passer quelque chose pour soi».  Portes ou fenêtres, il convient de toute façon de chercher de l’air, des espaces renouvelés et une certaine luminosité. Nos auteurs ici et maintenant soutiennent cette même attente. Dans la perspective d’une plus grande clarté, chacun d’entre eux prend place ici dans une rubrique spécifique, créée pour donner continuité à une certaine ligne éditoriale. Articles, Fenêtres sur cures, Variations autour de ..., Billet d’humeur et enfin Recensions accueillent ainsi chaque travail de recherche reliant l’imaginaire à l’Inconscient.

Notes et Bibliographie

1. Chiantaretto J.-F. (2016), «Deux en un, un pour deux: l’interlocution interne de l’analyste en question» Le Carnet Psy n°°197.

2. Freud S. (1919), Le créateur littéraire et la fantaisie, in L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard 1985, p. 44.

3. Ibid.

4. Freud S. (1906), Le délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen, précédé de Gradiva, fantaisie pompéienne par Wilhelm Jensen, Paris, NRF, Gallimard, 1986.

5. Ibid.

6. Freud S. (1919), Le créateur littéraire et la fantaisie, in L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard 1985, p. 44.

7. Louis-Combet C. (2015), «De l’intériorité, écrire» Ed : Jérôme Millon.

8. Tytell P. (1982), «La plume sur le divan», Aubier.

9. Cardinale M. (1976), «Les mots pour le dire». Ed. Grasset.

10. Ernaux A. (2014), «Le vrai lieu», Gallimard.

11. Titre emprunté, avec son autorisation, à Jean-Marie De Sinety, Fenêtre sur cure, Paris, in Press, Mars

12. Pingaud B. (1979) «Comme un chemin en automne», Gallimard.

Format 15,5 x 24 cm
pages 236
Editeur L'Esprit du Temps
ISBN 9782847954388
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